Du haut de la tour de guet, le jeune homme s’exposait sans résistance à la fraîcheur de la brise matinale, qui fouettait ses membres encore engourdis de sommeil. Il frissonnait en contemplant l’horizon. Les premières lueurs de l’aube éclairaient la campagne environnante. Les ombres de la nuit s’éclipsaient peu à peu, chassées par les premiers assauts du soleil. Au loin, tout n’était qu’obscurité et le contraste avec la clarté qui baignait déjà Madinat Al Adwae et sa région, ne ferait que s’accentuer au fil des heures. A midi, l’astre du jour au zénith darderait ses rayons, inondant plaines et vallées d’une douce et vivifiante luminosité, gorgeant de chaleur et de sucre le raisin des vignobles, scintillant jusqu’à l’éblouissement, sur l’enceinte fortifiée et les toits de la Cité de Lumière, tandis qu’aux confins de l’Aelendil, d’immenses remparts d’un noir impénétrable, sembleraient s’élever tout au long des frontières, au-delà desquelles s’étendait désormais l’empire des ténèbres.
Indifférent à la morsure du vent, qui sans la moindre considération pour sa fonction, s’engouffrait sans relâche, dans sa chemise débraillée, le jeune homme songeait aux évènements qui avaient marqué l’histoire de la Confrérie. Chroniqueur au palais depuis plusieurs années, il n’en ignorait ni les heures de gloire ni les temps incertains. Il n’avait pas personnellement pris part à la libération de l’Aelendil, ni même aux principales guerres menées contre les serviteurs des ténèbres, pas plus qu’il n’avait assisté aux machinations de la bête, quand elle s’était introduite au cœur même de la Confrérie pour semer les germes de la sédition et mettre un terme à l’expansion de la lumière.
Il n’avait pris son office que peu après, lorsque la bête démasquée et mise en échec, en avait appelé aux démiurges. C’était eux qui avaient choisi de rétablir l’ascendant des ténèbres en échange d’offrandes conséquentes et de la dévotion des créatures les plus viles et les plus répugnantes qui soient. Ils n’avaient que faire de servir la Lumière et pour protéger leurs ouailles, ils interdirent la guerre. Il n’y eut plus dès lors que des escarmouches sans conséquence. Partout, le ciel s’obscurcit. La bêtise et l’ignorance régnaient en Maître, engendrant leur lot de mensonges et de haine, de jalousie et de concupiscence. Les démiurges mirent en place des tournois et des concours dont les règles fluctuantes n’avaient d’autre objet que de favoriser la victoire sans risque de leurs ténébreux fidèles. Les plus couards d’entre eux, ceux là même qui avaient obtenu l’interdiction des guerres, se proclamèrent grands guerriers, maintenant qu’ils ne craignaient plus de combats à armes égales, et se vantèrent de victoires qui n’en étaient pas car en vérité, il leur suffisait de payer pour obtenir les titres et honneurs convoités. Les justes, quant à eux, furent sommés de se soumettre ou de disparaître. L’ARS choisit le statu quo. Elle ne se soumettrait pas mais elle n’affronterait pas davantage les démiurges dans un combat aussi vain que suicidaire. Il y avait d’autres moyens de combattre les ténèbres. Les Arsiens prirent la plume et se firent chroniqueurs de leur temps…
