De la Lumière et des Ténèbres...

Chevalier de l'ARS Messages : 3428 Date d'inscription : 04/01/2009 Age : 1005

Extrait des chroniques des derniers gardiens d'Excalibur.

De la Lumière et des Ténèbres.

L’équipée s’approchait de sa destination. Officiellement, il s’agissait d’une ambassade, mais d’un genre plutôt étrange car elle réunissait en son sein plusieurs clans barbares. En pratique, cela ressemblait davantage à la procession mystique d’un troupeau qui se croyant mené au pâturage, s’en allait droit à l’abattage..
Pourtant, ils avaient été humains autrefois, certains plus longtemps que d’autres mais tous aujourd’hui n’en avaient plus que la vague apparence. Le peu d’esprit qu’ils avaient eu un jour s’en était allé sans espoir de retour. Ils tenaient la station debout avec difficulté et courbés, ils avançaient péniblement comme s’ils portaient sur les épaules tout le poids de leur forfaiture et de leurs péchés passés. Ils en arboraient les stigmates sur leur corps à la pilosité foisonnante. Têtes de chèvres, d’ânes, de cochons...il y avait là toute une ménagerie pour le moins insolite, un équipage improbable qui traversait un territoire désolé, tout aussi improbable.
Plus ils approchaient de la sombre forteresse désormais en vue, plus la végétation se faisait disparate, la terre stérile et l’atmosphère pesante. Une brume fétide s’élevait du sol. A n’en pas douter, les ténèbres régnaient là en maîtres incontestés.
La troupe s’arrêta à deux pas de l’imposant pont levis, gardé par un chevalier noir dont on ne distinguait pas plus les traits qu’on en devinait les pensées. En avait il seulement , ou lui et ses semblables n’étaient ils que le fruit d’un obscur sortilège ?

Une femme ou tout au moins ce qui l’avait été dans un lointain passé, sortit du groupe et s’avança de quelques pas, en restant cependant à distance raisonnable. Elle était vêtue d’une robe dont on pouvait douter qu’elle ait jamais été blanche et d’une peau de loup mitée trouvée on ne sait où. L’épiderme profondément ridé trahissait le nombre de ses années et la tête caprine agrémentée d’une barbichette aux poils grisonnants et surmontée par deux appendices tortueux, sa haine du genre humain et son allégeance aux forces crépusculaires qui dominaient en ces lieux.

Elle fit un bref signe et quelques membres du groupe s’avancèrent à leur tour.

« Nous sommes les représentants des clans de ce monde, adorateurs de la vraie foi et des démiurges qui en sont l’incarnation. Nous sommes attendus » déclara t elle d’une voix chevrotante à l’adresse du gardien du pont.

Ce dernier considéra longuement la délégation et sans mot dire, fit un pas de côté libérant le passage dans lequel les représentants de l’ambassade s’engouffrèrent non sans quelque appréhension. Le dernier de la file était porté dans une sorte de fauteuil par deux de ses congénères. Il jouait avec un sablier dont le dernier grain de sable écoulé indiquait qu’il était temps de relever les porteurs. Ce n’était pas un grolar mais bel et bien un hybride d’homme et d’une sorte d’ours exotique à ceci près qu’à l’instar des autres spécimens présents, l’hybridation ne devait rien à la naissance.
Parmi ceux qui le précédaient il s’en trouvait un dont toute l’attention était focalisée sur sa main qu’il maintenait fermement plaquée sur la bouche pour s’interdire la moindre parole car le pauvre bourricot ne pouvait s’empêcher dès que l’occasion s’en présentait, d’éructer une suite ininterrompue d’insultes et de vulgarités. Non sans peine, ses compagnons de route avaient fini par le convaincre que là où ils se rendaient, il était plus que souhaitable qu’il n’en fît rien.
A ses côtés cheminait un goret cyclope qui avait également été prié de prêter attention à son comportement. Il était coutumier des flatulences et rôts bruyants et souvent malodorants mais ce n’était pas cela qui gênait ses compagnons que la crasse et les odeurs ne rebutaient pas vraiment. La lumière suscitait chez l’intéressé une réaction épidermique violente qui l’amenait lui aussi à dévoiler sa véritable nature par des cris orduriers et l’exhalaison d’une haine intrinsèque profonde. Fort heureusement, au cœur des ténèbres, la question ne se poserait pas.

La herse levée dans un bruit strident de rouages métalliques, la forteresse avala ses visiteurs.

Dernière édition par Cheguevarra le Lun 1 Nov 2021 - 9:30, édité 2 fois

La cour intérieure était sinistre. Nul bruit ne se faisait entendre alentour hormis le grincement d’enseignes à la devanture d’échoppes désertées que l’on devinait plus qu’on ne les voyait et dont la présence témoignaient que la vie avait un jour fleuri ici. Les hybrides la traversèrent d’un pas rapide puis à l’invitation d’un chevalier noir, entrèrent dans le donjon et le suivirent dans un dédale d’escaliers et de corridors qui menaient à l’ancienne chapelle aujourd’hui désaffectée et où l’on faisait désormais commerce d’allocierges. Pour chaque allocierge, le dévot perdait un peu plus de sa raison et de son humanité mais gagnait en retour les faveurs et, pensait il, la considération des démiurges. Chacun fit mine d’hésiter à s’en saisir. Certains en prirent un ou deux, d ‘autres un peu plus mais tous en glissèrent plusieurs poignées dans leur besace aussi discrètement que possible. Ils descendirent dans la crypte où les démiurges recevaient leurs disciples en audience et découvrirent non sans surprise que certains clans avaient déjà des émissaires dans la place, espérant sans doute par ce subterfuge, se donner plus d’importance et gagner en influence.

Au fond de la pièce trônaient les démiurges et face à eux se tenaient les pèlerins. Le père de tous, le Grand Démiurge, comme il se doit, était assis au milieu. Henry Kiki quant à lui, était assis à la droite du père, conformément aux écritures qu’il avait pris soin de rédiger lui même. Quant à Mohmoh, qui comme nous le verrons tantôt, n’avait rien d’un saint d'esprit, il avait pris la place de Malabar, disparu sans crier gare après, si l’on en croit les mauvaises langues, avoir dérobé la recette des derniers mois. De chaque côté, des rangés d’allocierges éclairaient la salle d’une lueur blafarde. Les murs de pierres dépourvus de tentures, le mobilier réduit à l’essentiel et l’absence d’objet de valeur suggéraient l’humilité et la frugalité des maîtres des lieux. Bien sûr, les démiurges ne vivaient pas dans la crypte.
On ne connaissait pas de nom au Grand Démiurge. Il était un tout en soi, l’alpha et l’oméga, le père de toutes choses, vivantes ou non, et comme il se plaisait à le croire, des Ténèbres et de la Lumière. Henry Kiki, avait un nom et un prénom, chose rare en ce monde. Il était le défenseur de la foi et subséquemment, grand argentier, tâche pour laquelle il se dépensait sans compter et comme le faisaient remarquer ses détracteurs, c’était bien là le seul domaine où il ne regardait pas à la dépense. Mohmoh, le dernier arrivé, se contentait le plus souvent de répéter avec solennité et gravité les propos de ses pairs comme si la répétition, à ses yeux valant démonstration, lui conférait de facto l’importance dont la nature l’avait privé. Quant à savoir s’il comprenait ce qu’il récitait, rien n’était moins sûr.

Henry Kiki s’avança sur le bord de son trône et d’un bond rejoignit le sol

« Les démiurges soient avec vous » s’exclama t il

« et avec votre esprit » répondit comme en écho l’auditoire

« Que serait la lumière sans les ténèbres ? Tournez vous vers la vraie lumière, celle des allocierges , la seule vraie lumière, témoins de la vraie foi et remerciez les démiurges de vous en avoir montrer la voie »

« Gloire aux démiurges ! Gloire aux démiurges ! »

Chevalier de l'ARS Messages : 3428 Date d'inscription : 04/01/2009 Age : 1005

Le silence retomba et le démiurge scruta ses ouailles. Un hybride caméléon en profita pour ramper jusque à ses pieds. Il tenait tout à la fois du goret , de la chèvre mais aussi du caniche et ce bien qu’il ne remua pas la queue étant dépourvu de tout ce qui pouvait rappeler cet attribut. Ses manières qui évoquaient la couleuvre révélait une veulerie et une malhonnêteté plus insondable l’une que l’autre. De son humanité, il ne subsistait plus rien ou presque.
Ceux qui le moquaient le surnommaient le gnome. Il l’était davantage encore par l’esprit qui lui faisait défaut que par la taille qui ne dépassait guère celle du démiurge devant lequel il rampait désormais sans vergogne jusqu’à sembler vouloir se fondre dans le sol dallé. Chafouin partageait également avec son maître l’étalage décomplexé d’une prétention inversement proportionnelle. Il était là depuis des semaines, guettant chaque occasion de venir baiser les pieds d’Henry et au détour de sirupeuses flatteries, de rappeler avec force gémissements et soupirs plaintifs, son ardent désir de se voir restituer terres et titres confisqués
L’agacement se lisait sur les traits du démiurge qui n’était pas encore prêt à céder aux suppliques de Chafouin. Celui là avait encore selon lui, grand besoin de méditer la précarité de sa position et l’immense honneur qu’on lui avait fait en le nommant inquisiteur avec tous les avantages afférents, honneur dont il s’était montré indigne, usant un peu trop ouvertement de ses prérogatives au seul bénéfice de ses amis. L’abus eut été considéré comme délit mineur s’il ne s’était accompagné d’une propension grandissante à oublier de qui il tenait sa position.

"Ô sublime lumière céleste... " commença Chafouin, agrippé au mollet d’Henry plus sûrement qu’une sangsue à son hôte.

"Il suffit !" s’exclama le démiurge en tentant vainement de repousser l’importun. Chafouin jeta un regard sur l’assemblée des fidèles réunis, non qu’il réalisât soudain l’indécence de son comportement, au vu et au su de tous, mais parce qu’il cherchait le soutien de ses amis parmi lesquels Agenor et Hermann, du clan des ânes marins qui, pensait il, lui devaient bien ça.

Agenor entre deux braiments avaient coutume de répéter à qui voulait l’entendre qu’il était un grand flibustier, lui qui de toute sa vie, n’avait jamais vu plus vaste étendue d’eau que celle de son abreuvoir ou de sa baignoire, étant entendu qu’un même baquet réunissait les deux fonctions..
Hermann quant à lui, plus fruste que son acolyte, nourrissait une aversion instinctive et viscérale pour tout ce qui lui était étranger. Tous deux partageaient une même vision hiérarchisée et inégalitaire du monde et bien évidemment se voyaient, élus des démiurges, trônant au sommet de la pyramide.

Plus complices qu’amis, Agenor et Hermann ne pipèrent mot, prenant grand soin de ne pas contrarier davantage Henry qui assimilait toute forme de contradiction à de l’insubordination et de la rébellion.

Contre toute attente, c’est un autre âne marin qui vola au secours de Chafouin.

"Noble démiurge, si je puis me permettre..."

"Te permettre ? Et qui es tu donc toi dis moi ?"

"Mais... je suis Martin", répondit l’autre, quelque peu vexé de n’être point reconnu

"Certes mais encore ? il y a plus d’un âne qui s’appelle Martin mon ami…"

Mohmoh partit d’un tonitruant éclat de rire. Il n’était pas sûr d’avoir compris la plaisanterie mais considérait qu’en toute occasion il était bon de suggérer le contraire en s’esclaffant bruyamment.

"Je suis le chirurgien du bord et j’ai lors de ma dernière mission sauvé plus de 1000 vies", ajouta Martin, définitivement vexé mais plus que jamais soucieux que nul n’ignorât ses mérites.

"1000 vies dis tu ? Il me semblait que votre…. Comment pourrait on dire, équipage ?... ne comptait pas plus d’une vingtaine de membres… ?"

Pris en défaut, Martin resta coi. Agenor vint à sa rescousse

"C’est qu’il a sauvé la vie des mêmes compagnons à de multiples reprises...et par ailleurs il est tout comme moi, un fervent adepte de la vraie foi ô suprême démiurge, tout comme Chafouin qui quelles que soient ses fautes et ses errements, vous a toujours bien servi dans la lutte contre les hérétiques."

"A la vérité, il s’est plus servi qu’il ne nous a servi et quand son intérêt le lui commande, il n’hésite pas à mordre la main qui le nourrit. Néanmoins, il est vrai que c’est un bon défenseur de la foi et que les démiurges sont miséricordieux avec ceux qui allument des allocierges en réparation de leurs fautes"

Henry songeait surtout qu’il n’était pas sûr de vouloir continuer à traîner la jambe à chaque pas avec Chafouin lové autour de son mollet.

Mamytha du clan des chèvres de l’enclos, celle la même qui avait conduit la délégation en ces lieux, s’avança pour plaider elle aussi la cause du gnome arguant de ses qualités d’hybride avancées, de sa ferveur religieuse et de son combat contre les hérétiques offrant ainsi au démiurge la transition souhaitée pour en arriver au sujet qu’il voulait aborder.

"Fort bien, nous rendons à Chafouin ses terres titres et rang à l’exception de la fonction d’inquisiteur et à la condition qu’il reprenne sans délai sa place dans l’assemblée."

Chafouin se confondit en maints remerciements et courbettes tout en rejoignant ses compères à reculons.

Chevalier de l'ARS Messages : 3428 Date d'inscription : 04/01/2009 Age : 1005

Henry jeta un regard entendu au Grand Démiurge puis reprit sur un ton courroucé.

"Je vous vois nombreux céans, représentants de vos clans respectifs, bons croyants, pensez vous... Vous venez chercher la récompense pour vos combats au service de la vraie foi… Mais où sont les infidèles venus se convertir ? Où sont les hérétiques venus abjurer à genoux leur hérésie ?"

Dans l’assistance, nombreux étaient ceux qui, comme tétanisés, fixaient leurs sabots. Le silence était assourdissant. Seuls s’agitaient, secoués de tics et de spasmes compulsifs, Raideux le gueux et Zaza de la tourette, le goret cyclope et le bourricot de la délégation, chez qui la seule évocation de la Lumière et de ses adeptes, suscitait d’ordinaire l’irruption incontrôlée d’un flot de jurons et d’insanités.

Millefils, le chef de clan des bourricots intervint. Son patronyme était d’autant plus surprenant qu’il était notoirement connu pour n’avoir aucun enfant et il se susurrait même chez certaines représentantes quelque peu moqueuses de la gent féminine que ses performances au lit, plus qu’aléatoires, expliquaient sans doute aucun, son absence de descendance. D’autres, tout aussi facétieux, ajoutaient goguenards qu’elle était entièrement compensée par son invraisemblable condescendance.

"Mon clan et moi même, son guide suprême, sont les seuls à combattre les hérétiques et nous les avons battus à plusieurs reprises quand d’autres ici se contentaient de pleurer et de se plaindre.
Nous avons même été confrontés aux pleurs et gémissements de Contretemps, récemment amnistié alors qu’il purgeait une condamnation au bannissement de plusieurs années et de son clan d’ours mal léchés. Il est anormal que nous ne puissions pas user comme nous l’entendons, de toutes les armes disponibles, ne serait ce que pour tester la sincérité et la valeur au combat d’ex payens impies, fraîchement convertis."

Un grondement sourd d’indignation et de réprobation se répandit dans la salle à telle enseigne que Contretemps qui avait dû laisser sa litière et son sablier dans la cour fit tout de même l’effort de répondre à son détracteur.

"Je constate pour ma part, l'ami, que ton aversion pour moi et les miens coïncide étrangement avec mon refus de nous voir rejoindre l’alliance de ton clan et de celui de Mamytha dans la perspective du prochain challenge du Crâne Evidé..."

Le Grand Démiurge et Henry se regardèrent, hésitant entre un franc éclat de rire et un débordement de colère. Henry céda à son penchant naturel et opta pour la colère. Son exaspération était à son comble. Non seulement les fidèles étaient peu fiables mais ils étaient arrogants et mentaient sans vergogne avec un extraordinaire aplomb.

"Silence !…. Millefils, toi et ton clan n’avez jamais gagné la moindre bataille contre les hérétiques et même lorsque tu te querellais avec d’autres fidèles, tu n’as jamais été capable de combattre sans geindre et quémander mon aide…"

"C’est faux, je le jure sur mon honneur."

"Vraiment ? "

Le démiurge se tourna vers Mohmoh qui resta un moment interdit, surpris de la soudaine attention qu’on lui portait. Il lui montra un coffre et Mohmoh se souvint alors de ce qu’il attendait de lui. Il en sortit un parchemin et le tendit à Henry qui se mit sans délai à lire à voix haute.

Citation :: Très haut et très puissant démiurge,

Il y a fort longtemps que nous n’avons pas eu l’occasion de converser entre personnes de bonne compagnie... Mon clan et surtout moi même, subissons la vindicte des chèvres de l’enclos et surtout de Mamytha.

Pour je ne sais quelle raison, je ne peux plus déambuler dans les rues de Forol sans être pris à parti et insulté. Dans les tavernes et autres lieux de culture de votre noble cité, je suis constamment traîné dans la boue sans qu’elle soit capable d’en donner les raisons.

Elle me menace désormais d’une guerre, de pillages répétés et des sortilèges incessants des sorciers de son clan.

Personnellement, vous le savez sublime Démiurge, cela ne m’atteint pas mais je m’inquiète pour mes hommes qui n’ont pas demandé à subir les foudres d’une foldingote.

Votre humble et dévoué serviteur, Millefils le Magnifique

Agenor, son acolyte Hermann et d’autres encore, rirent de bon coeur, trop contents d’assister au camouflet et à la disgrâce d’un rival dans la quête des faveurs des démiurges. Mohmoh se mit à rire également tout en se demandant perplexe, en quoi la lecture d’un courrier pouvait susciter autant d’hilarité.

"Je ne sais pas de quelles chèvres il s’agit là" commenta Mamytha, outrée…
"Ce n’est pas pour rien que l’on me surnomme la louve… Nous sommes des hommes loups" ajouta t elle pincée en réajustant, comme si c’en était la preuve, la peau mitée qui lui servait de cape, sur ses épaules voûtées.
"En tous lieux à Forol, on vante mon intelligence, ma culture et ma beauté légendaire."

Elle n’ajouta rien de plus mais jeta un regard noir à Millefils qui, tout allié qu’il fût devenu entre temps, lui payerait assurément l’affront.

Dans l’assemblée, les rires avaient fait place pour certains, à des gloussements plus discrets et pour d’autres, à des sourires affectés. Il ne s’agissait pas de s’aliéner inutilement les autres clans.

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