Le périple de Maître Teller

Chevalier de l'ARS Messages : 3429 Date d'inscription : 04/01/2009 Age : 1005

Juché sur son fier destrier, il arpentait routes et chemins des royaumes environnants depuis plusieurs années déjà. Chaque arrêt dans une ville était pour lui l'occasion de conter les histoires réelles ou romancées dont il avait eu connaissance lors de ses pérégrinations.
Il approchait désormais de Forol, la cité de tous les vices et de toutes les vertus...

Les murs d’enceinte de Forol étaient en vue. Il y serait d’ici une heure tout au plus. Teller donna quelques coups de talon dans les flancs de sa monture. « Allez Agenor, mon fier destrier, un peu de courage, nous y sommes presque » L’âne renâcla comme à son habitude. Il ne voyait guère de raisons de presser le pas.

De loin, la cité semblait telle qu’il l’avait toujours connue et pourtant en passant les portes, Teller ne tarda pas à percevoir de notables changements. Le visiteur n’était plus accueillis par les coureuses de remparts qui autrefois, tenaient le haut du pavé et aguichaient sans vergogne le chaland, qu’il fût noble ou vilain. Qu’étaient elles devenues ?
Les trolls, gardiens de la paix et du désordre, bras armés des maîtres de la cité, les démiurges, semblaient moins nombreux, moins présents et visiblement moins prompts à intervenir.

Arrivé au coeur même de la cité, place des despotes éclairés, où il comptait bien s’installer quelque temps pour distraire les badauds de ses récits, la foule lui apparut plus clairsemée que dans son souvenir et pourtant Malabar, l’un des trois démiurges était là en personne, qui haranguait la foule.
Teller s’approcha davantage…

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« L’heure est proche mes amis pour de nouvelles innovations dans notre belle cité à nulle autre pareille… Continuez à nous vénérer et à nous offrir force offrandes à nous les démiurges, vos maîtres et vos protecteurs…. Un jour prochain…. Bientôt… D’ici peu… »

La foule l’écoutait, apathique et atone. Nuls cris de joie, applaudissements ou plaisanteries joyeuses ne venaient ponctuer les propos de l’orateur. Les éternels mauvais coucheurs eux mêmes restaient sans voix.
Teller n’en croyait pas ses oreilles… le discours tenu était en tous points le même que celui qu’il avait entendu quelque quarante ans auparavant lors de son précédent séjour à Forol, alors qu’encore tout jeune écuyer, il portait fièrement les couleurs flamboyantes de son ordre et combattait les Ténèbres avec succès aux côtés de ses frères d’armes.

Il n’écoutait plus le discours de Malabar. Les souvenirs affluaient et se bousculaient en lui… Grandes Maisons, Ordres et Clans s’opposant et se livrant batailles, les uns au nom de la Lumière, les autres sans jamais l’avouer, pour le compte des Ténèbres… jusqu’au jour où les démiurges avaient imaginé qu’ils pourraient se servir des Ténèbres à leur seul profit… Mais les Ténèbres ont leur propre dessein…
Peu à peu combattants des deux bords avaient quitté les lieux ou ne s’y rendaient que plus rarement voire clandestinement. Certains avaient été pourchassés, bannis et parfois même occis par les démiurges sans autre forme de procès.

Teller sortit de ses songes et contempla la place des despotes éclairés où déambulaient les badauds. La Cité n’était pas morte certes. Elle n’était pas même mourante mais elle était bel et bien malade.

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Agenor s’était mis à braire sans même attendre la fin du discours de Malabar. C’était sa manière de manifester que le jour tombant, il était temps de se sustenter, non qu’il fût tenaillé par la faim mais manger était son activité favorite et il n’était pas question d’y surseoir. Teller ne tenta même pas de discuter. C’était là un domaine où le bourricot aurait toujours le dernier mot.
« Allez viens... Il y avait autrefois une auberge fort réputée avec pour la monture de l’honnête voyageur, du foin, des carottes et de l’eau fraîche… Allons voir ce qu’il en est advenue… et arrête moi ce tintamarre veux tu, ou je te fais embrocher et rôtir sur place pour te donner aux chiens. » L’animal avait il saisi la menace ? Toujours est il qu’il se tût enfin pour le plus grand soulagement de son maître.

Teller se remémora sans trop de peine le chemin à suivre. A quelques pas de la place des despotes éclairés se tenait effectivement l’auberge en question, telle que dans son souvenir. Il s’attendait à l’animation et au bruit d’un lieu agréablement fréquenté mais sans doute pas à l’esclandre à laquelle il assista en arrivant. Le Maître des lieux, venait de jeter quelque individu hors les murs à grands coups de bottes au fondement et attendait de pied ferme qu’il se relevât…

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L’homme vautré dans la boue se redressa avec peine. Il était crotté de la tête aux pieds. Une légère brise renvoyait aux narines, des effluves qui fleuraient bon la crasse accumulée depuis des mois. Teller réprima un haut le coeur. Il n’avait plus faim.

« - Aubergiste de m… Tu n’es que de la m… , un tas de m...j’te dis »

L’aubergiste n’était pas homme à s’en laisser compter. Il fit un pas en avant, l’air décidé et si menaçant que l’autre finit de perdre le peu de contenance qu’il lui restait et s’oublia dans ses braies.

« - Je ne veux plus te voir ici Nanase, toi et ta puanteur immonde et si tu t’avises d’importuner ma femme à nouveau, crois moi, il t’en cuira. »

Nanase sortit un poignard. La haine dans ses yeux annonçait clairement qu’il était décidé à en faire usage

« - Quand j’en aurais fini avec toi l’aubergiste, je m’occuperai de ta femme et de ta fille...La petite est mignone et potelée comme il faut. »

La situation prenait une très mauvaise tournure. Teller se rapprocha de son âne et glissa la main sous la couverture qui dissimulait son épée.
Il allait l’extraire de son fourreau lorsque trois cavaliers apparurent au détour de la ruelle. Ils sermonnèrent Nanase sans ménagement Ils étaient aussi soignés et dignes que l’autre était sale et grossier. Ils arboraient sur leur surcot les mêmes armoiries que Nanase sur son pourpoint.
Le plus grand des trois lui ordonna de ranger son poignard et de les suivre, ce qu’il fit sans mot dire. Le ton employé ne souffrait aucune discussion.

« -Veuillez accepter nos excuses, aubergiste, vous aussi Messire Teller. »

Teller fut tout à la fois flatté et surpris d’être reconnu.

« -Il n’y a pas grand mal, l’homme est saoul, voilà tout.

-Il n’est point saoul, il est sot...La différence réside dans la permanence de son état et si à l’avenir, il ne fait point d’effort pour se tenir coi, nous le remettrons dans le cul de basse fosse d’où nous l’avons tiré autrefois.
J’ai ouï dire que vous étiez conteur Messire. Il est peu de distractions ces temps ci. Nous serons fort aise de venir vous écouter.

-Le plaisir sera pour moi, mes seigneurs »

Ils se saluèrent et les trois cavaliers s’éloignèrent entraînant à leur suite leur charge malodorante qui bon gré mal gré, les suivit en claudiquant.

» Happy Birthday Grand Maître !